Du Dialogue Interreligieux.

Publié le par Imam DOSSO

 

                                     Au nom d’Allah, Celui Qui fait miséricorde, le Très Miséricordieux.

 

              Les populations ouest africaines sont  d’appartenances religieuses diverses. Regroupés lors d’événements et rituels, les croyants de même religion ont d’antan, plus ou moins paisiblement vécu en communautés avec leurs coreligionnaires. Mais, depuis la période coloniale jusqu’à l’avènement des Etats indépendants regroupant sur le même territoire ces communautés de différentes confessions, notamment musulmanes et chrétiennes, la gestion des relations intercommunautaires s’est complexifiée.

L’enjeu majeur est alors devenu l’efficience des relations entre les membres de ces communautés, en l’occurrence musulmanes et chrétiennes, sans ignorer les autres composantes sociales.

La délicatesse de pareille situation exige que les personnes à qui la gestion de ces communautés incombe (acteurs socio politiques et dignitaires religieux), s’inspirent à la fois de l’histoire et de l’ensemble des dogmes des religions en présence, pour les projets de cohabitation et de coexistence pacifiques de tous les habitants.

Pour rappel, la base du passé partagé de ces religions ; la fraternité humaine en Islam et dans le christianisme se justifie par la parenté des Hommes, et de tous les Hommes à un ascendant commun ; Adam.

Aussi, chacune de ces deux (2) religions reconnaît-elle que le premier homme a péché. Elles s’entendent sur la nature du péché, et ont des conceptions différentes de sa portée.

 Les chrétiens et les musulmans sont en effet, d’accord que notre père Adam vivait initialement au paradis, avec son épouse Awa (Eve), conçue par DIEU à partir d’une côte de (Adam) celui qui deviendra son conjoint.

Déchu du paradis avec son épouse pour avoir transgressé la loi de DIEU en mangeant d’un fruit dont la consommation lui était pourtant interdite, l’Islam enseigne que notre père Adam s’est repenti et a été pardonné par DIEU, « son Seigneur l’a ensuite élu, agréé son repentir et l’a guidé ». Sourate, XX, (Tâ Hâ), verset 122.

Quant au Christianisme, il en fait un péché originel étendu à tous les humains et dont l’expiation est liée à la croyance en l’intercession du Christ rédempteur. « Le Christ, en devenant objet de malédiction à notre place, nous a délivrés de la malédiction de la loi… » Galates 3, 13.

Nonobstant cette divergence de point de vue doctrinale capitale, et il existe de nombreuses autres, le dialogue interreligieux devait avoir pour priorité parmi les priorités, l’approfondissement de cette fraternité de tous les Hommes et la connaissance rationnelle de ce qui les différencie dans leur foi, quelle que soit leur aspiration religieuse.

 Cette fraternité humaine originelle, prônée à la fois par l’Islam et le Christianisme, doit nécessairement fonder ses réalités quotidiennes sur la conception que chaque interlocuteur du dialogue a des règles de conduite, des devoirs et interdits de la communauté globale, en plus des autres éléments fondamentaux de sa propre religion et de ceux d’autrui.

Dans ces échanges, si chaque partie fait l’effort d’honorer l’autre et apprend à la connaître, les situations conflictuelles dont les causes sont abusivement qualifiées de crise de la foi ou de choc des civilisations, mais en réalité le nihilisme d’autrui, disparaîtront de la cohabitation des communautés de croyants musulmans et chrétiens.

 C’est pourquoi, il nous faut comprendre qu’en Afrique de l’ouest autant qu’ailleurs, c’est moins aux religions qu’aux humains qui donnent vie et sens à celles-ci, que le dialogue interreligieux doit s’adresser au premier chef. 

Mais au préalable, pendant qu’elle adhère à ce nouveau contrat social, chaque religion aura la latitude de débattre objectivement avec elle-même, et de son passé avec ses sources vives et de son passif avec ses bras morts. De sorte qu’au rendez vous de l’entre connaissance, nulle ne se donne le droit de soutenir une quelconque cote à la bourse des valeurs, d’inculper, de suspecter, etc.

Si la société doit être le produit de la religion, contrairement aux conceptions anthropologiques et sociologiques, l’Islam et le christianisme gagneraient à baser leur dialogue sur l’histoire commune de leur coexistence et sur l’ensemble de leurs dogmes respectifs pour bâtir l’avenir de leurs communautés, désormais liées par le même destin, notamment dans les Etats d’Afrique de l’ouest.

 

I-L’HISTOIRE DU DIALOGUE ISLAMO CHRETIEN SELON L’ISLAM.

 

Au début de l’apostolat du prophète Muhammad (s), les musulmans persécutés à la Mecque ont trouvé refuge auprès des communautés chrétiennes d’Abyssinie.

C’est au nom de cette solidarité islamo chrétienne que le Négus d’Abyssinie refusa d’extrader les musulmans réfugiés chez lui, face à la demande d’une députation de Quraychites (tribu du prophète (s) ), chargée de présents et conduite par Amr Ibn Al’As. Le Négus refusa au nom de son appartenance avec Ja’far et ses compagnons (les musulmans réfugiés) au parti de Dieu (Hizboulah) donc d’Ibrahim(s). C’est l’une des causes pour laquelle Dieu révéla le verset 68 de la sourate III, la famille d’Imran, au prophète Muhammad(s). « Certes les hommes les plus dignes de se réclamer d’Ibrahim, sont ceux qui l’ont suivi, ainsi que ce Prophète-ci, et ceux qui ont la foi. Et Allah est l’allié des croyants. »  

L’exégète musulman Cheikh Sy Hamza Boubakeur enseigne qu’au décès de ce Négus, le Prophète Muhammad (s) aurait prononcé une prière à l’effet qu’Allah lui fasse miséricorde.

Cette conception de la fraternité des croyants ici bas, dans la modestie, la charité, rapproche l’Islam et le Christianisme au plan affectif. C’est ce que le verset 83 de la sourate V, la table servie, rapporte des relations entre chrétiens et musulmans du temps du prophète Muhammad (s) :

 «… Lorsqu’ils entendent (la récitation) de ce qui a été révélé à l’envoyé, on voit leurs yeux déborder de larmes, par suite de la vérité qu’ils y reconnaissent ; ils disent (Seigneur), nous croyons ! Inscris nous au nombre des témoins ! »

En plus, aussi bien en Abyssinie, à la Mecque, qu’à Médine, l’Envoyé de DIEU Muhammad (s) a bénéficié du soutien moral des chrétiens contre les idolâtres. Dans le même temps, le prophète Muhammad (s) a, lui aussi, fait preuve de grande sollicitude à leur égard. A preuve, en 629 de l’ère chrétienne, une délégation chrétienne composée d’un évêque et de quatorze (14) professeurs de théologie vint de Najrân le visiter à Médine.

Cette visite avait pour objet, des échanges islamo chrétiens sur la nature d’Issa (s) (le Christ). Malgré leur désaccord sur les réponses de la question à l’issue du débat, le prophète Muhammad (s), selon l’exégète du coran Ibn Kathîr, a reçu la délégation avec beaucoup d’égards et l’a laissée célébrer la messe du dimanche des rameaux dans sa mosquée, la première de l’Islam. Ce qui fera écrire au Père Virgil Gheorghiu, auteur d’une biographie du Prophète Muhammad (s), que « nul n’a jamais dépassé Mahomet en tolérance ».

Cet avis se confirme par la rédaction et l’application d’un traité garantissant les droits et devoirs des minorités juives et chrétiennes, d’abord à Médine, et ensuite dans tout l’empire islamique.

A ces événements historiques dont la liste n’est pas exhaustive, il faut ajouter cette disposition éloquente du coran : au verset 46 de la sourate XXIX, (l’araignée), Dieu conseille aux musulmans :

 « Avec les juifs et les chrétiens, ne discutez que de la manière la plus (affable)… »

 

II-S’INSPIRER DE CES EXEMPLES HISTORIQUES DE COHABITATION PACIFIQUE DES COMMUNAUTES MULTICONFESSIONNELLES.

 

Certes, «comparaison n’est pas raison, mais elle est humilité et patience». C’est pourquoi, à défaut de pouvoir égaler ces exemples, les leaders religieux musulmans et chrétiens doivent s’investir dans un processus de civilisation multiconfessionnelle. La répartition des populations selon leur religion, dans les pays d’Afrique de l’ouest l’exige.

Aussi, en marge des cultes, faut-il exhorter les fidèles à la culture de la fraternité interreligieuse, en leur soulignant la nécessité de s’entre connaître. Tout au moins, la connaissance mutuelle contribuera à policer nos différends à relents religieux, comme c’est  quelques fois, malheureusement, le cas au Nigeria entre communautés chrétiennes et musulmanes.

Si notre histoire ironiquement racontée en croisades, djihads, recours à la force et à la coercition n’a pu suffire à nous assagir, dans cette entreprise, les croyants des multiples religions doivent se rassurer que « les hommes sont tellement enracinés dans leur foi, et dans la foi qu’ont choisie pour eux leurs parents et leurs ancêtres, qu’il est impossible de les en arracher ». In « livre du gentil et des trois sages » de Ramon Lulle, cardinal de Cues.

Le début de la tolérance serait alors, l’acceptation de l’autre quelle que soit son identité.

A cet effet, il faut saluer l’existence en Côte d’Ivoire du Forum National des Confessions Religieuses et du Collectif des Confessions Religieuses pour la Réconciliation et la Paix, des conseils interreligieux au Libéria, en Sierra Leone, en Guinée Conakry et au Ghana, et depuis Septembre 2003, avec l’appui de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (WCRP), la mise en place d’une structure ouest africaine ; les Conseils Inter Religieux de l’Afrique de l’Ouest (CIRAO).

Cependant, il faut objectivement reconnaître l’insuffisance d’initiatives au sein de ces structures, toutes choses les mettant à la merci d’autres acteurs sociaux, dont la plupart s’en sert à d’autres fins.

Toutefois, en plus du rôle de médiateur qu’elles se donnent dans les conflits armés en Afrique de l’ouest, ces structures interreligieuses seraient plus efficaces, si elles créaient et animaient d’autres tribunes, aux fins de permettre aux fidèles croyants de passer de la juxtaposition de leur communauté à leur imbrication.

 Ainsi, on partirait de la tolérance paternaliste à la fécondation mutuelle, en nous rendant capables d’assumer la pluriconfessionnalité de notre société, à l’aide d’échanges et d’observations sur les éléments fondamentaux de la religion, à savoir :

-Notre perception de DIEU, nos rituels, nos règles de conduite dans la vie ici bas, nos religieux ou chamans, nos documents de référence, etc.

L’évacuation concertée de ces fondamentaux sera un rempart contre la guerre, la souffrance, la malveillance, les déshonneurs et les dommages qu’on tente de s’infliger réciproquement pour empêcher les hommes de convenir d’une seule croyance. Les communautés de croyants se réuniraient alors dans une théologie d’unification faisant de leur foi, « non plus un opium, mais un levain de l’histoire ».

A cet effet, l’Islam enseigne qu’il n’y a « qu’une seule foi, primordiale et éternelle, qui, à travers les cultures différentes, donne naissance à une pluralité de religions ».

« Dis (aux juifs et aux chrétiens) : O vous qui avez reçu l’écriture, adoptez, une formule valable pour nous et pour vous (impliquant) que nous n’adorons que DIEU, que nous ne lui associerons rien d’autre. Puis, s’ils tournent le dos, dites : soyez témoins qu’à la volonté de DIEU nous sommes soumis ». Cet appel divin à l’unité religieuse, à la sourate III, la famille d’Imran, verset 64, est un autre témoignage de l’existence de ce monothéisme incarnant le parti de Dieu(Hizboulah) donc d’Ibrahim (as) l’ami de DIEU, le père et l’ancêtre communs.

 

Au total, l’avènement de l’Islam puis du christianisme en Afrique de l’ouest a créé la première opportunité de dialogue interreligieux entre le monothéisme (re)venant d’ailleurs( ?) et l’animisme noir (pré)existant sur place. C’est juste après cette période que ces deux religions se croiseront par commerçants, missionnaires et explorateurs interposés, chacun jugeant l’autre selon soi.

Dans leurs prosélytisme et quête d’hégémonie en ce lieu du berceau de l’humanité, les religieux musulmans et chrétiens se rendent compte aujourd’hui, dans leur grande majorité, qu’à leurs déchirements civilisationnels intervenus de trop loin dans le temps et l’espace, succède leur profonde unité de foi d’antan.

 Prenant alors conscience de celle ci, et du péché qu’il y a à se diviser, des anciens dont le Père Guénolé, l’Imam Sacko d’Abidjan (Treichville), le sage Ham pâté Bah, le Mufti Ahmed Tidjane Bah ont initié le dialogue interreligieux en Côte d’Ivoire.

Désormais, des structures regroupant diverses confessions religieuses ont pris la relève. Il leur faut évoluer de la coexistence plus ou moins pacifique des communautés de croyants, à une multiconfessionnalité assumée au quotidien, faite de tolérances mutuelles, elles mêmes sous tendues par la connaissance de l’autre.

 Cette sorte de legs précieux de la symbiose sociale est en projet au Forum National des Confessions Religieuses en Côte d’Ivoire. C’est la Convention Interconfessionnelle. Elle est en attente d’exécution. Les religions signataires engageront leurs fidèles, plus de 82% de la population ivoirienne, à la connaissance et l’acceptation de l’autre, à la non violence et à l’assistance mutuelle. C’est une expérience qui mérite d’être étendue à la sous région ouest africaine et même au delà. Nous le souhaitons.           

 

Imam Mamadou DOSSO

Centre d’Education et de Recherches Islamiques (CEDRIS)-Côte d'Ivoire

imamdosso@yahoo.fr

cedrisinfo@yahoo.fr

       

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