Imamat en Côte d’Ivoire : Évolution d'une fonction religieuse du village à la ville.

Publié le par Imam Mamadou Dosso Nôkodé

بسم الله الرحمان الرحيم، الصلاة والسلام على رسول الله.
L’imamat en Côte d’Ivoire ;
Évolution d’une fonction, du village à la ville.
Imam Mamadou DOSSO, Centre d’Education et De Recherches Islamiques (CEDRIS), Directeur National des Ecoles Confessionnelles Islamiques IQRA. Blog : imam-mamadou-dosso-overblog.com 
A la mémoire de nos illustres imams disparus (qu’Allah leur fasse miséricorde).
En hommage aux enfants (hommes et femmes) de Gnahéla, ma famille biologique, vivant en Côte d’Ivoire et partout ailleurs au monde. Qu’Allah les exauce en grâce abondante pour avoir restauré la mosquée familiale à Mankono. 
Je leur dédie cette publication sur un sujet aussi capital que l’imamat. 
Dans sa définition générale, l’imamat est une institution dont la vocation est de diriger les gens selon les lois d’Allah. 
Ces lois tiennent compte des circonstances d’ici-bas en rapport avec leurs valeurs dans l’autre monde. 
C’est pourquoi, bien que ne recevant pas de révélation, l'imam est au nombre des successeurs ou héritiers des prophètes (hadith). À l’instar de ceux-ci, il sert à protéger la foi des fidèles musulmans et à gouverner sa communauté. Ces attentes requièrent de lui certaines qualités. Essentiellement trois (3) qu’exige l’exercice de cette institution. 
A ces qualités, des savants musulmans dont Ibn Khaldûn, ajoutent l’intégrité physique et l’origine familiale. Ce sont :
1/ La science. L’Imam doit avoir une connaissance suffisante de l’Islam, parce que pour être dépositaire et garant de la loi d’Allah, il faut connaître celle-ci. On ne donne pas ce qu’on n’a pas. Ce savoir deviendra plus utile à la communauté, quand l’Imam, face à des situations inédites, se rapportera à son effort de réflexion personnelle (culture générale). 
2/ La probité. Etant donné que l’imamat est une institution religieuse, la probité lui reste une qualité indispensable. L’Imam est le miroir moral de toute la communauté, parce qu’il est pris pour modèle. (hadith). 
3/ La compétence. Elle se traduit par la capacité de l’Imam à exécuter et à faire appliquer les dispositions légales de l’Islam, en situations pratiques, non seulement au cours des crédos mais aussi dans l’organisation sociale. Son profil managérial et son leadership doivent lui permettre de faire les meilleures offensives dans les cadres intra-communautaires mais aussi extra-communautaires, tant au plan moral, social, culturel, qu’économique.
Nonobstant ces dispositions, en Côte d’Ivoire comme ailleurs en Afrique, dans les localités  traditionnellement islamiques, l’imamat est lié à l’appartenance familiale, à l’instar des activités profanes. 
Ce faisant, l’africain est destiné, de par son origine familiale, à une corporation ou une occupation (griots, forgerons, chefs de terres ou de guerre, imams et même esclaves ou wolosso…) Chacun dans son corps social, en fonction de ses attributions traditionnelles, contribue au développement intégral de la société globale.
C’est au vu de cette réalité qu’en Côte d’Ivoire, d’une localité à l’autre, L’imamat est assuré au nom des familles. À Odienné par les Savané (Moridougou), à Séguéla par les Bakayoko, à Mankono par les Fofana (Kramôgôlou), pour ne citer que ces exemples.
Depuis des lustres, dans les localités rurales des populations islamisées en Côte d’Ivoire, l’imamat est un dépôt que toute la société confie à une famille et ses alliées. Afin de perpétuer la tradition et mériter de cette confiance, les familles mettent un point d’honneur à dispenser l’instruction et l’éducation nécessaires à la jeunesse pour assurer la relève. L’école coranique (dougouma kalan en koyagha) est mise à contribution, en plus de l’apprentissage des us et coutumes. Parmi les apprenants quelques fois devenus maitres, le chef de famille, au nom des siens, désigne l’Imam de toute la localité. En plus des pratiques relatives au crédo (prière, jeûne, aumône et pèlerinage), l’Imam régule islamiquement l’organisation sociale (mariage, baptême, funérailles, enseignement, moralisation de la vie publique.) 
Les autres acteurs sociaux, pour assurer eux aussi leur fonction, assistent l’Imam par des aumônes et divers présents. C’est ainsi que l’Imam a sa part de produits des récoltes et d’élevages, du gibier des chasses, des prises de pêche, des bénéfices d’activités commerciales et artisanales, etc. 
Au-delà de cette assistance matérielle institutionnalisée, l’Imam jouit d’un profond respect que lui voue tout le village qui lui fait appel pour son expertise dans les résolutions de conflits, les partages d’héritage, etc.  
Malgré cette sollicitude, pour faire face à leurs obligations familiales avec plus de dignité, d’autres imams choisissent de subvenir aux besoins des leurs, par des travaux champêtres. Ils sont convaincus que quand on se passe de qui on a besoin, on devient son égal. (Hadith) 
À titre d’exemple, l’histoire de Mankono retient le modèle de cet Imam : Moidou Fofana dit Tchékè (qu’Allah lui fasse miséricorde). Chaque jour, excepté le vendredi, dès qu’il finissait de dispenser les cours aux enfants à lui confiés, Moidou Travaillant (Moidou Tchékè en Koyagha) {qu’Allah lui fasse miséricorde} se rendait au champ avec ses élèves jusqu’au soir. Ses récoltes évitaient la mendicité à ses élèves et lui procurait respect.
D’autres imams dans nos localités, héritiers de pratiques licites de plusieurs générations, assistent bénévolement les populations. Ils le font par médications, pour rendre les enfants plus assidus à l’école, pour augmenter la productivité agricole, pour soulager des malades, la liste n’est pas exhaustive. 
Ils ont évité les commerces d’illusions, le fétichisme, le charlatanisme et ses corollaires de pratiques démoniaques. Malheureusement, les imposteurs, aux manœuvres sataniques transcrites en lettres arabes, jettent le discrédit sur l’institution. Ceux-ci ternissent ainsi l’image des imams de nos localités qualifiés ironiquement de marabouts par les islamophobes. 
Quelle que soit leur culture islamique, la plupart des imams des localités villageoises, de par leur probité et leur sagesse, restent des amis d’Allah, vénérés par des populations qui, quelques fois les élèvent au rang de saints hommes. 
Avec la croissance démographique et les migrations des populations dans des localités autrefois majoritairement musulmanes, de nos jours, des mosquées sont construites par toutes les familles, même celles non dépositaires de l’imamat. Des membres de ces familles officient les prières quotidiennes. Dans ces localités devenues urbaines, de nombreuses communautés allogènes et étrangères bâtissent des mosquées qu’elles-mêmes gèrent librement. 
Des zones rurales aux agglomérations urbaines, la communauté musulmane se recompose de croyants aux cultures et ethnies différentes. Ces musulmans coexistent en plus, avec des populations  d’origines et religions différentes.
En ville, les musulmans de cette communauté composite se croisent dans les mosquées et les associations islamiques pour donner sens et vie à leur religion. Cette situation justifie que les musulmans citadins identifient leur Imam à la mosquée et à l’Association islamique. 
Souventes fois, au cours d’événements heureux ou malheureux, on assiste à une co gestion, heureusement sans télescopage, par des imams culturellement liés à la famille et par ceux de la mosquée du fidèle concerné. 
À l’exception de cas très rares, en ville, l’appartenance familiale n'oriente plus le choix de l’Imam. Les mosquées Al Salam (la plus grande mosquée de Côte d’Ivoire) et Al Hidjaabat (220 lgts) toutes deux (2) à Adjamé font partie de ces exceptions où la désignation des imams est justifiée par leur origine. 
Par ailleurs, la gestion de nos mosquées, il n’existe pas encore de procédure d’appel à candidature pour imamat, où une commission siège aux fins de désignation selon des critères science, probité, compétence, etc.
Selon les normes islamiques, le choix de l’Imam se fait sur la base de textes réglementaires. En ville, c’est seulement en cas de conflit où l’Imam est contesté par des fidèles qu’on rappelle l’existence et l’authenticité de ces critères. 
Au constat, fréquemment, pour désigner nos imams en zone urbaine, on s’adresse à une personne physique ou morale pour nous trouver quelqu’un. C’est souvent par affinité que le choix d’un nouvel Imam est fait par un ancien.
Les imams des mosquées urbaines sont issus de toutes les castes. La Côte d’Ivoire reste un des rares états ouest africains où les mosquées sont ouvertes aux imams de toutes les nationalités. Il faut le saluer sans vanité, ni xénophobie, mais avec fierté patriotique rappelée par l’Abidjanaise. «…Salut ! Ô terre d’espérance, pays de l’hospitalité… »
Les imams des zones urbaines ont étudié eux aussi dans des écoles coraniques. A la différence de leurs collègues des zones rurales, d’autres parmi eux ont étudié dans des établissements scolaires différents du dougoumankalan ; les écoles franco arabes, les medersas, les écoles confessionnelles islamiques, les centres de mémorisation du coran, ici en Côte d’Ivoire, mais aussi dans des pays voisins et/ou arabo-musulmans où en plus de l’Islam, ils ont appris d’autres sciences.
Les fonctions des imams citadins sont complexifiées par l’environnement démographique. Parce que les musulmans de cette communauté composite coexistent avec des populations d’autres croyances. L’exercice des fonctions imamales en ville exige, à cet égard, plus d’effort managérial.
Mais comment vivent les imams en ville ? 
Il est une autre évidence : Fidèles musulmans lambda, imams et responsables de comités de gestion des mosquées, tous, venons en ville pour nous faire une meilleure place au soleil. Les meilleurs indicateurs de cette mentalité se voient et s’entendent dans l’imaginaire des abidjanais : « Personne n’est venue à Abidjan pour contempler la mer ». (Imams, responsables de gestion des mosquées, fidèles lambda) sommes en ville pour faire du profit. « On est venu se chercher », dit-on. A l’exception d’une minorité, tous nos imams n’ont d’autres occupations que l’imamat. Donc, ils se cherchent, eux aussi, en exerçant ce noble métier.
Pour rappel, le profit est le fruit des produits du travail. Objectivement, plus nos besoins sont élevés, plus nous faisons l’effort d’accroître le profit généré par nos occupations. 
Toutefois, les besoins peuvent se limiter au minimum vital, comme ils s’étendent aussi, au-delà de celui-ci, pour déboucher sur le luxe, l’aisance. 
À cet effet, en Côte d’Ivoire dans les villes, l’imamat enrichit-il l’Imam qui n’a pas d’autres occupations ? Pas sûr.
Les communautés musulmanes citadines composites, dans leurs rapports avec leurs imams ont-elles pour but d’enrichir ceux-ci ou de leur donner en échange de leur noble travail, une rétribution qui leur permette d’être au-dessus des besoins matériels essentiels ? Ni l’un ni l’autre, parce qu’il n’existe aucune convention formelle entre les deux (2) parties.
En ville, de nombreux imams sont exclusivement à la charge de leur communauté à travers le Comité de Gestion de la mosquée et de généreux fidèles dont une bonne majorité est plus motivée par ses attentes personnelles de ce bas monde que par une rétribution dans l’autre. Malheureusement, ces rapports n’ont pu jusqu’ici, faire l’objet d’organisation formelle. Très peu de mosquées peuvent se vanter d’avoir un budget de fonctionnement qui, évidemment, comprenne l’intéressement des imams et les dépenses liées aux autres charges courantes. 
Le plus souvent en ville, l’Imam doit sa notoriété, son avoir matériel plus à la géo localisation de la mosquée qu’il anime, au poids politique de la structure dont il est membre, qu’à sa piété, à sa culture religieuse ou à l’organisation fiable de la communauté musulmane. 
Au regard des réalités actuelles de la gestion de nos mosquées en ville, l’imamat n’enrichira son homme qu’à deux (2) conditions : 
1/ Faire de la mosquée un centre de rayonnement de toutes les activités de la communauté musulmane qui l’entoure et la fréquente, avec une gestion participative efficiente.
2/ En plus de sa noble fonction, l’Imam doit souffrir d’exercer un métier lucratif. Le défunt Cheikhoul Aima Boikary Fofana (qu’Allah lui fasse miséricorde), son successeur Cheikhoul Aima Mamadou Traoré (qu’Allah lui fasse miséricorde) (tous les deux étaient cadres de banque à la retraite), l’actuel Chekhoul Aïma Imam Ousmane Diakite ( est secrétaire général de mairie à la retraite) le Cheikh Al Islam Imam Idris Koudouss Koné (qu’Allah lui fasse miséricorde) (était administrateur des services financiers à la retraite). Ce sont des exemples éloquents de cette option qui allie une autre fonction à l’imamat. 
Au demeurant, en raison de la noblesse de sa fonction, de par sa place dans la communauté musulmane, l’Imam ne doit accepter de s’assujettir à personne pour des prébendes. Sa fonction est trop honorable pour qu’il puisse se résoudre au sacrifice de sa dignité. 
Pour l’aider à remplir une seule ou ces deux (2) conditions, les structures imamales plus actives en ville qu’au village ; (Conseil Supérieur des Imams des Mosquées et des Affaires Islamiques {COSIM}, Conseil Suprême des Imams et Structures Sunnites {CODISS}, Haut Conseil de l’Imamat en Côte d’Ivoire {HCI-CI}) doivent redéfinir leurs objectifs.   
De la restauration et la défense de l’image des imams, tant auprès des musulmans, que des autorités administratives et de l’opinion nationale, il faut passer à l’institutionnalisation. Des revendications syndicales, il faut arriver à un projet d’organisation d’une communauté musulmane autonome forte qui ne tire ni son aura, ni sa légitimité de sa proximité avec les régimes politiques.
L’une des pistes, il y a une dizaine d’années, de l’autonomisation financière que nous avons accueillie avec légitime espoir, était la construction de magasins autour de certaines mosquées pour améliorer leur organisation et leur fonctionnement. L’expérience a détrompé les plus optimistes. C’est un leurre. Car, des musulmans responsables de comité de gestion et des imams ont pris ces initiatives plus pour s’enrichir que pour mieux gérer la communauté musulmane. « Personne n’est venue à Abidjan pour contempler la mer » « On est venu se chercher », dit-on.   
En ville, les mosquées, selon l’histoire de leur construction, ont divers statuts. Certaines sont construites sur initiatives personnelles, par des fortunés mécènes ou de modestes musulmans, par des communautés musulmanes légalement constituées, informelles, culturelles ou résidentielles. 
Celles bâties et/ou gérées par des groupes ethniques sont, à l’instar des mosquées familiales, qualifiées de mosquées koyagha, peulh, sénégalaise, yorouba, etc. Incha Allah, nous pourrions faire prochainement, une publication sur la mosquée. 
L’Imam en zone urbaine vit les mêmes réalités que les autres citadins. Gites et couverts plus décents en ville qu’au village. Moyens de locomotion et de communication plus modernes en ville qu’au village. 
Au regard de la gestion approximative des communautés musulmanes composites autour des mosquées, la meilleure option reste, jusqu’à présent, de faire tout pour mettre les imams au-dessus des besoins essentiels. 
L’état des lieux démontre qu’il y a urgence. Ce contexte malheureusement pousse des imams, une minorité, à une forme de mendicité mieux élaborée où on recourt à Allah et à Son Messager (saw) pour mettre les fidèles musulmans à contribution face à leur conscience et à leur foi. D’autres, heureusement peu nombreux aussi, rentrent dans le syncrétisme (chirk en arabe). La situation nous interpelle et nous invite à sa remédiation. 
C’est à ce prix, incha Allah, qu’en Côte d’Ivoire, nous vivrons l’Islam qui enrichit l’Imam.  
A BIENTÔT, INCHA ALLAH !

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